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Commérages et médisances en entreprise : 
comment échapper au triangle de Karpman ?

Si je décide de confier à mon supérieur hiérarchique qu’il me semble qu’untel n’est pas suffisamment ceci et beaucoup trop cela" sur la base de ressentis personnels et de faits non avérés ni démontrables, quelle devrait être la réaction appropriée de ce « supérieur hiérarchique » qui plus est si la scène se passe dans une entreprise où sont prônées en interne des valeurs telles que la transparence, la confiance, le respect des différences, l'ouverture aux autres ?

Que feriez-vous vous même si vous étiez confronté au problème ?

Je regarderais d’abord si le plaintif est affecté ou non dans son travail par le comportement dénoncé ? Le comportement pointé du doigt contribue-t-il à détériorer ses conditions de travail ? Si oui en quoi, et comment cela l’affecte-t-il concrètement ?

Si la réponse est oui alors je m’assurerais de mettre en présence ces 2 personnes pour tenter de les aider à résoudre ensemble le problème. Je m'efforcerai que le plaignant exprime son ressenti (qui par définition n'est ni objectif ni factuel) de manière suffisamment claire pour que l'autre puisse comprendre ce qui lui est reproché. Et par la suite, je ferai un suivi du problème afin que cela ne tombe pas sous le coup de la loi.

Si la réponse est non, alors je demanderais au plaignant de me dire ce qu’il attend de moi ? 

En milieu professionnel, une personne qui trouve une autre "un peu trop ceci ou pas assez cela" se verra sans doute bien embarrassée lorsqu'il lui faudra formuler réponse à ladite question.

"Que tu ailles gronder pour moi cette personne et lui donner une bonne leçon ! " Il est vraisemblable que cette phrase ne sera jamais prononcée et restera dans le non-dit mais on peut se poser la question ici des conséquences d’un tel « reporting » sur la personne mise ou remise en cause sur la base d’un simple ressenti et que le salarié qui porte la dénonciation n’est pas censé ignorer.

Or, si la question n'est non seulement pas posée par le supérieur hiérarchique mais qu'en plus il ou elle décide de transmettre la supposée "plainte" au supérieur en charge de la personne visée par le plaignant, on peut raisonnablement penser qu'il ou elle entre dans le jeu du plaignant en devenant le passeur d'un commérage, d'un non-sujet, d'un non-dit voire d'une accusation que celle-ci soit fondée ou pas avec toutes les conséquences là encore que cela peut engendrer pour le salarié ainsi dénoncé.

Dans la cour d'école, l'enfant jaloux, craintif, coléreux, voire vengeur, qui n'ose se confronter à l'autre, s'empresse encore plus volontiers d'aller chuchoter à l'oreille de la maitresse, s'il sait que celle-ci entrera dans son jeu et ira gronder l'enfant qu'il lui a désigné. Si au lieu de cela, la maitresse réunit les deux et leur apprend le dialogue, l'enfant qui a dénoncé hésitera à venir "gossiper" (anglicisme pour « colporter des commérages ») mais osera peut-être se confronter à l'autre.

S'inscrire en tant que membre d'une communauté professionnelle, dans une attitude scolaire et enfantine de commérage entre collègues est déjà en soit contre-productif, mais lorsque cette attitude est soutenue voire organisée au plus haut sommet de l'entreprise, quel impact sur l'ambiance et la confiance entre collègues ? 

« Je comprends ce que tu me dis de cette personne qui me trouve trop ceci et pas assez cela... Ou plus exactement, tu me rapportes ce que t’as dit ton homologue (l'autre supérieur hiérarchique) au sujet de la « plainte » de cette personne qui ne me trouve pas suffisamment ceci et beaucoup trop cela. ... Que dois-je en faire ? - Me méfier de cette personne qui se plaint de moi par supérieur interposé sans venir m'en parler ? - Modifier mon comportement en fonction de ce que tu me dis de ce que t'as dit ton homologue sur la base de ce que lui a confié cette personne ? Au nom de qui et de quoi et sur quels fondements ? 


La loi du premier qui tire qui gagne !


Si lorsque je n'aime pas ce que dit un-e collègue, je m'empresse d'aller me plaindre à une tierce personne, qui est, qui plus est hiérarchiquement responsable, c'est la loi du premier qui tire qui gagne qui s'applique ! Car comment l'accusé pourrait-il se défendre en retour ? Gémir à son tour en adoptant le même type de procédé ? Trop tard ! lui dira-t-on. Il fallait le dire ou agir plus tôt ! On mesure ici l'insolvabilité du non-sujet érigé en sujet. Peut-on modifier son comportement sur la base de médisances indirectes portées par une personne qui se plaint à son supérieur hiérarchique pour qu’à son tour celui-ci vienne se plaindre au vôtre ? Quels effets peuvent avoir ce type de commérage à l'échelle d'une organisation sur la relation entre les personnes d'un collectif dont l'on souhaite valoriser la diversité d'opinions et de personnalités ? 


N''est-ce pas ainsi que les conflits naissent ? Lorsque délation et "cowardise" (anglicisme pour lâcheté) ne sont pas remis en question au plus haut niveau de l'entreprise...


Car, il est tentant lorsqu'on est en position hiérarchique de vouloir accuser réception d'une confidence, voire d'une médisance et de prendre des mesures, pense-t-on justes pour remédier au problème. Le manager ou le supérieur hiérarchique adopte alors la position de "parent protecteur". Celui qui voulant le bien de celui qu''il est censé protéger va tout mettre en œuvre pour cela quitte à entrer dans le jeu de son protégé. 


Dans son article de 1968, "Fairy Tales and Script Drama Analysis" Stephen Karpman nous donne à comprendre comment nous jouons tour à tour des rôles dans notre communication. Un triangle se forme entre le parent protecteur appelé "Sauveur" par Karpman, la victime et le persécuteur. Cette schématisation (le triangle de Karpman) permet de comprendre l'engrenage dans lequel peuvent parfois nous mettre les individus avec qui nous sommes en relation et les mécanismes pouvant conduire à la naissance d'un conflit.


Sortir du triangle c'est exprimer ses émotions et ses idées librement. Or, le monde feutré de l'entreprise rend plus difficile cette liberté d'expressions. C'est même le lieu idéal où, si l'on y prend garde, peuvent prospérer les non-dits et les malentendus qui font le lit du conflit. Les relations humaines sont semées de ressentis, de perceptions que l'on se fait des autres. A nous de les confronter à la réalité en osant approcher l'autre dans son altérité, dans sa différence.


En entreprise peut-être plus qu'ailleurs, il faut effectivement du courage pour parler à l'autre et échanger avec lui d'autres choses que des banalités de la vie quotidienne. Il faut aussi du courage au manager (en position de supérieur hiérarchique) pour sortir du fameux triangle et responsabiliser le salarié qui joue à la victime devant lui. L'analyse transactionnelle développée par Eric Berne (« Que dites-vous après avoir dit Bonjour ») peut ici l'aider à envisager une relation Adulte/adulte et non Adulte/Enfant. On peut également regarder du côté des anglo-saxons plus pragmatiques dans leur relation au travail, qui font plus volontiers la part entre ressentis, émotions et travail.


Instaurer une « instance de médiation » indépendante des voies hiérarchiques.


Lorsque dans le milieu de l’entreprise, les ressentis des uns et les croyances ou perceptions des autres se transforment en moyens de délation, sans doute faut-il créer une instance composée d’un groupe de salariés qui à tour de rôle serait chargés de conduire les médiations d’autres salariés. Charge aux supérieurs hiérarchiques de détecter de préférence avant qu’ils n’éclatent les problèmes sous-jacents et d’envoyer les salariés concernés devant l’instance « indépendante » chargée de régler ce type de signes avant-coureur de conflits. Cette instance à défaut d’être totalement indépendante et professionnelle, pourrait ainsi régler les « petits conflits » entre salariés avant que ces derniers ne s’enveniment et tombent sous le coup de la législation du travail.


Avis aux amateurs, tout bruit de couloir, commérage, quand dira-t-on pourrait désormais passer entre les mains de ces « sages » improvisés chargés de mettre en relation les personnes ayant omis de régler par elles- mêmes leurs différents ou de s’adresser tout bonnement la parole le matin, après s’être fait la bise.


« Les mythes sont des commérages qui ont vieilli. » Stanislaw Jerzy Lec


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