La loi du premier qui tire qui gagne !
Si lorsque je n'aime pas ce que dit un-e collègue, je m'empresse d'aller me plaindre à une tierce personne, qui est, qui plus est hiérarchiquement responsable, c'est la loi du premier qui tire qui gagne qui s'applique ! Car comment l'accusé pourrait-il se défendre en retour ? Gémir à son tour en adoptant le même type de procédé ? Trop tard ! lui dira-t-on. Il fallait le dire ou agir plus tôt ! On mesure ici l'insolvabilité du non-sujet érigé en sujet. Peut-on modifier son comportement sur la base de médisances indirectes portées par une personne qui se plaint à son supérieur hiérarchique pour qu’à son tour celui-ci vienne se plaindre au vôtre ? Quels effets peuvent avoir ce type de commérage à l'échelle d'une organisation sur la relation entre les personnes d'un collectif dont l'on souhaite valoriser la diversité d'opinions et de personnalités ?
N''est-ce pas ainsi que les conflits naissent ? Lorsque délation et "cowardise" (anglicisme pour lâcheté) ne sont pas remis en question au plus haut niveau de l'entreprise...
Car, il est tentant lorsqu'on est en position hiérarchique de vouloir accuser réception d'une confidence, voire d'une médisance et de prendre des mesures, pense-t-on justes pour remédier au problème. Le manager ou le supérieur hiérarchique adopte alors la position de "parent protecteur". Celui qui voulant le bien de celui qu''il est censé protéger va tout mettre en œuvre pour cela quitte à entrer dans le jeu de son protégé.
Dans son article de 1968, "Fairy Tales and Script Drama Analysis" Stephen Karpman nous donne à comprendre comment nous jouons tour à tour des rôles dans notre communication. Un triangle se forme entre le parent protecteur appelé "Sauveur" par Karpman, la victime et le persécuteur. Cette schématisation (le triangle de Karpman) permet de comprendre l'engrenage dans lequel peuvent parfois nous mettre les individus avec qui nous sommes en relation et les mécanismes pouvant conduire à la naissance d'un conflit.
Sortir du triangle c'est exprimer ses émotions et ses idées librement. Or, le monde feutré de l'entreprise rend plus difficile cette liberté d'expressions. C'est même le lieu idéal où, si l'on y prend garde, peuvent prospérer les non-dits et les malentendus qui font le lit du conflit. Les relations humaines sont semées de ressentis, de perceptions que l'on se fait des autres. A nous de les confronter à la réalité en osant approcher l'autre dans son altérité, dans sa différence.
En entreprise peut-être plus qu'ailleurs, il faut effectivement du courage pour parler à l'autre et échanger avec lui d'autres choses que des banalités de la vie quotidienne. Il faut aussi du courage au manager (en position de supérieur hiérarchique) pour sortir du fameux triangle et responsabiliser le salarié qui joue à la victime devant lui. L'analyse transactionnelle développée par Eric Berne (« Que dites-vous après avoir dit Bonjour ») peut ici l'aider à envisager une relation Adulte/adulte et non Adulte/Enfant. On peut également regarder du côté des anglo-saxons plus pragmatiques dans leur relation au travail, qui font plus volontiers la part entre ressentis, émotions et travail.
Instaurer une « instance de médiation » indépendante des voies hiérarchiques.
Lorsque dans le milieu de l’entreprise, les ressentis des uns et les croyances ou perceptions des autres se transforment en moyens de délation, sans doute faut-il créer une instance composée d’un groupe de salariés qui à tour de rôle serait chargés de conduire les médiations d’autres salariés. Charge aux supérieurs hiérarchiques de détecter de préférence avant qu’ils n’éclatent les problèmes sous-jacents et d’envoyer les salariés concernés devant l’instance « indépendante » chargée de régler ce type de signes avant-coureur de conflits. Cette instance à défaut d’être totalement indépendante et professionnelle, pourrait ainsi régler les « petits conflits » entre salariés avant que ces derniers ne s’enveniment et tombent sous le coup de la législation du travail.
Avis aux amateurs, tout bruit de couloir, commérage, quand dira-t-on pourrait désormais passer entre les mains de ces « sages » improvisés chargés de mettre en relation les personnes ayant omis de régler par elles- mêmes leurs différents ou de s’adresser tout bonnement la parole le matin, après s’être fait la bise.
« Les mythes sont des commérages qui ont vieilli. » Stanislaw Jerzy Lec
Par Violaine Truck
Coach Agile